Les américains ont-ils perdu leur optimisme ?

L’attitude généralement positive des américains est mise à rude épreuve. Seraient-ils en train de perdre le sourire ?


Bob a quitté le pays. Fatigué de l’Amérique, il veut oublier Trump et ses disciples, le racisme et les bavures policières, les beaufs avec leurs flingues au fond du Ford F150, les corporations toutes-puissantes, l’argent et les lobbies, Instagram et Twitter. A défaut de pouvoir s’expatrier matériellement, il a quitté les Etats-Unis mentalement. Il a supprimé toutes ses apps de news américaines et suit désormais la BBC et les sites d’information canadiens. Il ne consomme que des produits importés et regarde les matchs de football européens. Déprimé d’être américain, Bob est un réfugié culturel.

Bob n’est pas tout seul. Sur Medium, mes listes de lecture se remplissent d’articles toujours plus pessimistes sur l’état du pays et sur son avenir. Certains comme Bob, se sentent menacés et contemplent leurs options de vie à l’étranger. D’autres déplorent que le rêve américain est mort et attendent, impuissants, le déclin de l’empire

L’optimisme est le carburant du rêve américain.

Plus de 15 ans de vie aux Etats-Unis m’ont débarrassé de nombreux clichés que j’avais solidement accrochés à mes baguages en arrivant de France. Non, la majorité des américains n’est pas obèse, inculte, ultra-religieuse et amoureuse des armes à feu. La plupart ne sont pas non plus obsédés par l’argent et demander à quelqu’un combien il gagne n’est pas une façon normale d’engager la conversation. Mais un stéréotype ne s’était jamais démenti jusque là : les américains sont optimistes. Je dis « jusque là » car depuis peu, l’attitude généralement positive des américains est mise à rude épreuve. Seraient-il en train de perdre le sourire ?

L’optimisme est le carburant du rêve américain. L’idée que chacun peut réussir et que demain sera meilleur qu’aujourd’hui est solidement ancrée dans la société américaine. Au quotidien, l’optimisme est le mode relationnel par défaut. Les conversations s’accompagnent facilement de larges sourires et s’efforcent généralement de considérer le verre à moitié plein. Dans les banalités de la vie quotidienne, les américains préfèrent parler de la météo favorable plutôt que de l’arrivée de la pluie. Autour d’un sujet grave, ils préfèrent discuter des solutions plutôt que de ressasser les causes. Alors que Paris se met volontiers en bouteille avec des « si », le conditionnel passé est peu usité et mal maîtrisé par les américains.

La crise sanitaire a bien sûr porté un coup aux plus optimistes partout sur la planète. L’Amérique n’y a pas échappé. Mais même au plus fort de la crise, plus de 2 américains sur 5 continuaient d’afficher un optimisme mesuré et anticipaient un retour à la normale alors que seuls 16% des français entrevoyaient une issue rapide à la crise. Un quart des américains estimaient même que « le monde allait changer pour le meilleur après la crise », contre seulement 9% des français, éternels pessimistes. 

Une chute d’optimisme

La chute d’optimisme des américains trouve ses racines dans la colère et le désarroi. D’habitude indifférents aux débats politiciens qui impactent peu leur quotidien, les américains se sont enflammés autour d’une idée centrale répétée jusqu’à la nausée pendant la présidence de Donald Trump : le déclin des valeurs, des traditions et de l’influence américaine. De droite comme de gauche, les américains ont été soumis quotidiennement aux diatribes déclinistes d’un président désireux d’incarner le retour à la grandeur d’antan (Make America Great Again) ainsi qu’aux cris d’orfraie de ses opposants inquiets des conséquences de sa présidence sur la stature des Etats-Unis dans le monde (restore America’s world standing). 

Entendre dire du matin au soir que l’on vit dans un monde en déclin n’est pas de matière à garder le sourire, mais ce qui sape surtout l’optimisme de Bob, c’est la réalisation que la société américaine est devenue incapable d’y faire face collectivement. Manipulés par leurs élus et divisés sur tous les sujets, les américains ne semblent plus s’accorder que sur une chose : plus de 80% pensent que leur système politique devrait être réformé complètement ou de façon significative, et 66% pensent de même de leur système économique. Dans les démocraties occidentales, seuls les grecs, les italiens et les espagnols sont aussi nombreux à exprimer un besoin de réforme. Pour ces américains, il n’y a plus de verre à moitié plein sur lequel focaliser leur optimisme. Le verre est vide.

Etre optimiste se décide

Faut-il en conclure que les américains sont devenus pessimistes ? Je ne crois pas. La morosité qui s’est installée dans l’esprit collectif du pays reste souvent sans lien avec la situation de chacun. C’est un pessimisme social, alimenté par l’amplification des nouvelles alarmantes dans les médias et les réseaux sociaux, qui se développe aux côtés de l’optimisme individuel typique des américains.

Pour eux-mêmes, les américains restent majoritairement positifs. Comment expliquer autrement « the Big Resignation », ces démissions massives constatées sur le marché du travail depuis la crise du Covid, sinon par la perspective optimiste de retrouver facilement un emploi mieux payé et plus satisfaisant ? Comment expliquer que, interrogés sur leur bien-être, les habitants de Dallas, Houston, Boston, Washington, Chicago, Los Angeles, New York, Miami, et Philadelphie s’estiment tous mieux lotis que… les Parisiens ! En dépit des menaces sur le futur, 40% des adultes américains pensent que leurs enfants seront autant ou plus à l’aise financièrement que ne l’est leur génération (seuls 15% des français en disent autant). 

L’optimisme de se considérer chanceux, de pouvoir faire une différence et d’améliorer son lendemain à titre individuel se heurte quotidiennement à la réalité, mais il fait partie de l’esprit américain. Il ne se mesure pas aux fluctuations des indicateurs économiques, politiques ou sociaux. Etre optimiste se décide. En y renonçant, Bob a bel et bien quitté le pays.